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Autres Perspectives
12 mars 2009

Des idoles pour nous perdre.

ALLEMAGNE_FUSILLADEUne fois encore, l'actualité me prend de court. J'allais poursuivre le thème abordé récemment (infantilisation devant l'urgence), parler des comportements mimétiques, du monde du paraître et du glissement vers le culte des idoles lorsque  cette terrible nouvelle venant d'Allemagne est tombée : un adolescent de 17 ans, armé d’un pistolet-mitrailleur, a abattu au moins 16 personnes ce mercredi, la plupart dans un collège... Incompréhension ! L'analyse à l'emporte pièce ou les raccourcis faciles ne sont pas ici de mise. Et pourtant...

Loin de cette tragédie, certaines réalités sont vécues quotidiennement et ressenties plus ou moins comme des agressions. Cependant, à force d’habitude, nous nous y accommodons, finissons par les intégrer, sans toujours percevoir en quoi elles restreignent notre Liberté plutôt que de la grandir. Et puis un jour l'actualité nous frappe, et nous ne comprenons pas...

 

Le paradoxe de l'infantilisation devant l'urgence (2)

Du livre - mars 2000, extrait chapitre 3 - partie 1

 

Le modèle sur lequel repose notre civilisation propose une définition tronquée et caricaturale de l’Homme (Cf : Modèle de développement et définition de l'Homme). Cette définition induit la mise en oeuvre de multiples incitations à la consommation. Les méthodes largement utilisées pour susciter cette consommation vont prendre comme levier les points de fragilité des individus en attisant en priorité la peur, la cupidité, la culpabilité ou la jalousie, lesquelles produisent le comportement mimétique. Les moyens privilégiés de cette pompe à consommer sont l’idolâtrie et le mensonge...

 

embouteillage100Les bases sont posées pour fourvoyer l’être, l’éloigner de son essence et de sa raison d’être… l’infantiliser au lieu de le pousser vers l’autonomie, vers la capacité à apporter au monde dans une plus grande conscience de soi.  Infantilisation, malgré l’urgence d’un sursaut de conscience de l'humanité. 

 

 

 Monde du paraître

 


> Le sensationnel et le culte de l’image : ce culte de l’image aboutit immanquablement au culte de l’idole. Si l’image de soi structure la personne, , nous parlons ici d’une pression de l’environnement qui réduit la personne à l’image, et à l’image « stéréotypée qu’on attend d’elle », très éloignée de ce qu’elle est vraiment.Le secteur éducatif est particulièrement concerné par cette question et y est confronté quotidiennement.

imageJ’ai perçu cela avec plus d’acuité à un moment précis où cette démarche médiatique a été vécue de l’intérieur : Berlin, un montage clip-vidéo effectué par un studio de montage subventionné par la ville dans le cadre des programmes de jeunesse. Un projet de musique amplifiée, d’accompagnement et de réinsertion par l’action musicale a démarré 3 ans auparavant. Lors de la projection médiatisée du film, m’est apparue une image "normalisée" totalement éloignée de ce qu'étaient les jeunes et de ce que nous avions vécu. Nous voulions aider les jeunes à se structurer et à s'exprimer et nous en avions fait des idoles. Ces adolescents d’ailleurs n’étaient pas dupes et admettaient avec humour que ce n’était pas eux ; ce travail d’accompagnement de long terme leur a permis de bien réagir et de garder une certaine distance. Mais l’environnement ambiant ne favorise pas une telle clairvoyance.
Yves Eudes confirme ceci lorsqu’il parle de MTV etmontre que le génie de la chaîne se situe dans le packaging :
« les génériques, logos, habillages, décors, tout concourt à créer une ambiance qui rend les chanteurs plus talentueux, plus fascinants, plus désirables » [1].

PS : cette tendance s’est largement développée depuis lors avec l’apparition de la télé réalité. Elle se généralise à l’ensemble des émissions de divertissement, voire caritatives (lesquelles peuvent être assimilées à des plateformes publicitaires pour les  invités qui ont à vendre leurs produits). Nous pouvons aussi nous interroger sur la multiplication des émissions populistes dont les thèmes oscillent invariablement entre « les riches » d’une part, et « les pauvres» d’autre part.

 

> L’effet d’annonce et du visible immédiat.

 

- L’effet d’annonce et du visible immédiat ne va pas forcément de pair avec l’intérêt général et le développement. La question de l’évolution de notre civilisation est aussi celle des modes de prises de décision et des motivations qui les fondent. Les décisions ont-elles toujours comme objectif, l’épanouissement des personnes ? L’intérêt général ? Un développement durable ?

maraichageBerlin, dans le cadre du projet social, il nous fut proposé d’établir des projets susceptibles d’octroi de subventions. L’issue de ce travail me semble tout à fait significative : un premier projet proposait une démarche d’accompagnement sur 3 mois auprès de jeunes déstructurés, autour d’une action de réflexion sur le quartier qui devait permettre de développer des techniques journalistiques et multimédias et devait aboutir à une série de propositions concrètes en vue de l’amélioration de l’environnement. Ce projet se clôturait par une exposition photographique sur le quartier et une petite publication. Un second projet consistait à créer un petit jardin(pelouse + jardin maraîcher) autour de notre local situé entre une zone bétonnée et une voie ferrée. Il concernait un public 9-12 ans. Un troisième projet d’un budget 2 fois plus élevé(5 000 DM [2])proposait l’organisation de deux heures de concert de musique amplifiée dans le quartier. La subvention fut octroyée uniquement pour ce troisième projet. Les critères de décisions nous sont restés inconnus.

 

- Le visible immédiat, c’est aussi la contrainte de l’image qui ne favorise pas l’analyse mais incite à la simplification et l’exhibition. Gilles Balastre et Joëlle Stechel, journalistes nous parlent des contraintes liées à leur métier en ces termes [3]:"pris dans un cercle infernal de vitesse et de concurrence, le travail des journalistes est de plus en plus bâclé, les reportages de plus en plus courts : de deux minutes trente il y a six ans, ils ne durent plus, en moyenne, qu'une minute trente secondes.Cette perte d'une minute accentue le morcellement de l'information, le poids des images chocs et, en les tronquant, caricature le propos des personnes interrogées…"

 

On notera aussi le développement de la technique du direct où trop souvent les reporters n’ont à proposer comme contenu de leur intervention que des périphrases qui signifient : « il ne se passe rien pour le moment »... Que dire des formules du type : "c'est du jamais vu !"

 

Cette primauté du visible et de l’immédiat découle du principe de plaisir qui est à la base de la démocratie médiatique. De l’ambition de convaincre ou de construire, on passe à celle de plaire.

 

L’homme robotisé et mimétique

 


> La société de consommation pousse à la différentiation par la possession d'objets. Elle fragilise l’individu en permanence et aboutit à l’atomisation de la société. Le slogan passe de : « soyez comme votre voisin » à « soyez unique ». La proposition est donc de devenir unique par les objets possédés, donc par l’acte de consommation.

orgueilLa supercherie est de laisser penser que, si l’on est unique dans les objets suscités qu’on possède, l’on est forcément soi-même.

 

 

 

> Cette tendance mimétique et infantilisante s’applique aussi au monde du travail : la complexification des modes de production a abouti à réintégrer progressivement toute la dimension humaine, pour des formes davantage participatives où l’initiative et la responsabilité sont encouragées. Récemment, de nouvelles écoles de gestion sont apparues qui favorisent des structures en réseau et apporteraient plus de liberté.

 

Cependant, il y a lieu de s’interroger sur l’authenticité et la véritable portée d’une telle orientation. Il pourrait bien s’agir encore d’un leurre : cercles de qualité mais surtout, culture et projet d’entreprise ; des opérations marketing qui cette fois ne s’adressent plus seulement à l’externe mais aussi entendent prendre appui sur un conditionnement à l’interne pour accentuer la crédibilité auprès des actionnaires, fournisseurs et consommateurs.

 

Appartenir à l’entreprise, à sa culture, témoigne davantage trop souvent d’un conditionnement supplémentaire que d’une orientation vers plus d’initiative et de liberté.

 

> L’idolâtrie : est le fer de lance du mimétisme. Une société cultivant le mimétisme développe une culture d’idoles. L’idole représente un modèle auquel l’individu cherchera à s’identifier, mais qui lui restera inaccessible par un caractère transcendant ou pseudo transcendant. Le besoin de modèle permet de structurer une identité et s’avère donc nécessaire.

 

Il y a toutefois une grande différence entre le modèle tel qu’il existe dans la sphère non marchande et l’idole telle qu’elle est fabriquée par le système libéral : l’idole est le carburant de la pompe à consommer. L’idole, contrairement au modèle, est idéalisée et déifiée. Elle ne repose sur aucune réalité.

 

En ce sens, plutôt que de structurer la personne, les idoles ou modèles contemporains, fabriqués sur mesure selon des critères aux finalités mercantiles ne peuvent que la fragiliser et l’éloigner d’une identité propre.

 

Dans un environnement marchand aussi dense, il très difficile d’échapper à ces modèles imposés. Deux exemples pour illustrer ce propos :

 

- La descente des Champs-Elysées par les joueurs de l’équipe de France en été 1998 au milieu d’une foule particulièrement dense. Raison la plus souvent invoquée par les personnes présentes (ou en tous cas retransmise par les micro trottoirs) : « je voulais les voir de près ». Il me semble qu’il se produit ici un glissement du modèle (à priori ici positif mais dont la positivité resterait discutable), à l’idole. Courant avril 1999, un journaliste parlait des « sommes pharaoniques » que percevaient les joueurs de football  et précisait que malgré de tels montants, on assiste encore actuellement à une surenchère inquiétante [5].

 

- Berlin - Place Alexander, 1991, 3 ans plus tôt, le centre de Berlin Est. Au dessus de l’entrée d’un nouveau supermarché arborant sur son toit nombreuses marques électroniques japonaises et allemandes, surplombe la statue géante d’un chanteur mondialement connu [6]. L’individu consommateur ne peut entrer dans le supermarché sans faire symboliquement acte de vénération en passant au dessous de la statue. Cette statue est le produit d’une campagne marketing planétaire à l’occasion de la sortie d’un album de compilations.

 

Même si  la notion d'idoles est abandonnée au profit de celle de modèles, ces modèles imposés, fragiles et éphémères sont d’autant plus dangereux et déviants qu’ils ont plus de chance de trouver des points d’accroche sur un terrain où les premiers modèles nécessaires à la croissance de l’être humain sont eux-mêmes fragilisés ou absents : le père et la mère.

 

Face à des vides affectifs, face à des modèles parentaux déficients, le jeune ira les chercher ailleurs et il aura l’embarras du choix. C’est sur ces modèles qu’il va se forger une identité.

 

Ces idoles qui nous entourent  (idôlatrie : passion excessive, démesurée. Culte des idoles)

 


idoleIl serait donc intéressant de s’attarder sur les caractéristiques des idoles ou des modèles médiatiques que se fabriquent nos sociétés. Ces modèles ont-ils un rapport avec une quelconque vérité ou réalité ? Quel impact peuvent-ils avoir sur les individus et en particulier sur les jeunes ou sur les classes défavorisées ? Quelle est la capacité de résistance des individus à cesmodèles ?... Pour reprendre l’exemple du football : ceux proposés aux jeunes sont-ils des modèles de croissance humaine harmonieuse (on a parlé de l’image d’une France plurielle et non raciste, sympathique etc...) ? Pas si sûr au regard des déviations violentes que connaît ce sport actuellement.

Notons enfin que les idoles fabriquées sur mesure sont souvent les premières à subir une premorissonssion pouvant aller jusqu’à la mise en danger de leur intégrité physique et psychologique. Le film « the Doors » illustre bien ce phénomène. Plus récemment, les affaires de dopage dans les milieux du cyclisme et de l’athlétisme confirment l’importance du phénomène : « les idoles sont sacrifiées à leur image, prisonnières d’un système qui peut les broyer » [7].

 

Un modèle anglo-saxon : l'Etat rempart de la sauvagerie individuelle.

 


Denis Duclos, sociologue et directeur de recherche au CNRS, a établi une comparaison entre les modèles anglo-saxons et les modèles français dans la culture télévisuelle et cinématographique [8]. Il développe cette thèse selon laquelle, les modèles de monstres anglo-saxons sont hissés au niveau même de la société (exemple du héros destructeur ancien soldat de la guerre du Vietnam et qui a des comptes à rendre -monstres déviants et surpuissants...miroirs fatals de la société) alors qu’en Europe, les grands criminels tendent au contraire à voir leur stature diminuer à mesure que l’intellectuel l’humanise en expliquant ses actes. Dans la culture anglo-saxonne il y aurait donc un conflit incessant entre la force sauvage des individus et la force civilisée de la communauté. Dans la culture latine, l’individu fou ne peut remettre en cause une civilité qui se tient debout elle-même (cette différence expliquerait pourquoi il est difficile d’abolir la peine de mort aux Etats-Unis).

Il montre les conséquences d’un tel modèle anglo-saxon : la communauté doit se prémunir du risque de sauvagerie individuelle. La culture anglo-saxonne tend à maintenir une peur intériorisée qui fait croire à l’existence dans un même monde d’une population de damnés, de pauvres, en regard « des bons » des couches moyennes. Cette normalité de la pauvreté atténue le devoir de solidarité mais surtout, elle entretient l’illusion que la liberté civile est préservée dans la mesure où le collectif(l’Etat, la régulation par le marché...) élimine le Mal.

 


[1] Le Monde diplomatique manière de voir Hors série - mars 1997 - Article de Yves Eudes - p 67.

[2] Soit environ 20.000 FRF

[3] Le Monde diplomatique manière de voir Hors série - mars 1997 - p 76

[4] L’utopie de la communication- Philippe Breton - La découverte poche - Essai - Dépôt légal avril 1997 - p144

[5] Exemples : Ronaldo, salaire net mensuel2 MF + 30MF de revenu annuel de contrats publicitaires.Zidane : 28.5 MF annuel de salaire net, hors primes et contrats publicitaires.

[6] Michael Jackson

[7] On peut lire à ce propos l’ouvrage du chanteur Daniel Facérias qui en livre témoignage : « le chant délivré » -Edition Fayard.

[8] Le monde diplomatiquemanière de voirHors série - mars 1997 -Article de Denis Duclos - p 50


 

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