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Autres Perspectives
25 février 2009

L'essentiel (2) : passage obligé, un enjeu majeur

Vers une conscience adulte majeure

Message publicitaire radiophonique : Voix d’homme : « dis donc, c’est quoi ce sourire malicieux? » Voix de femme : « je suis heureuse, c’est tout. Ah la nouvelle Ford Ka! »

Sur le chemin du travail, le même jour : affichage grand format : «  Source de bonheur en deux lettres : Ka - Ford ».

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Une réponse à une interrogation.

* « Pourquoi à cette période de l’histoire, l’humanité est-elle toujours aussi infantile ? ».

« Pourquoi reviennent toujours les mêmes points d’achoppement ? Pourquoi y a-t-il autant de déperdition, de coûts inutiles dans la relation de l’individu avec son environnement qui bloquent sa croissance ? ». « Qu’est ce qui empêche l’homme d’aller plus loin dans sa capacité à être ? ».

* Une phrase de Teilhard de Chardin, écrite en 1924 venait y résonner en écho  [45] :

« ... Pressés les uns contre les autres par l'accroissement de leur nombre et la multiplication de leurs liaisons, serrés entre eux par l'éveil d'une force commune et le sentiment d'une angoisse commune, les Hommes de l'avenir ne formeront plus, en quelque manière, qu'une seule conscience ; et parce que, leur initiation étant terminée, ils auront mesuré la puissance de leurs esprits associés, l'immensité de l'Univers, et l'étroitesse de leur prison, cette conscience sera véritablement adulte, majeure ».

De l’interrogation à cette phrase : ce fil conducteur allait accompagner ma réflexion.

* L’étude ultérieure de la pensée de Teilhard de Chardin, rapportée à l’étude des composantes actuelles de notre monde, allait dans le sens de mon intuition, et se voyait renforcée par ce vers quoi j’étais amené au fil de la présente analyse :

- L’univers n’est pas insensé. Il a une direction (un sens). Il se dirige vers toujours plus de complexité. La prise en compte de cette direction est une clé de lecture nécessaire et éclairante.

- La voie se resserre pour ceux qui s’inscrivent dans ce courant évolutionniste mais ont l’intime conviction du caractère infini de l’Homme, sa valeur, et sa place dans cette    évolution  : entre les courants antimodernes, ethnicistes, et les courants utopistes, modernes ou syncrétiques, la voie est étroite. Ce resserrement comporte l’enjeu du dessèchement éventuel du coeur ; est en jeu : la définition de l’Homme, sa capacité à croître, et la marche même de l’évolution.

- La vie atteint un seuil, un point critique où un passage devra être effectué. Ce point de passage nécessitera un choix fondamental. Cette intuition rejoignait deux écrits de Teilhard respectivement de 1927 et 1935 :

« ... Il me parait psychologiquement inévitable que, avant deux ou trois générations, l’humanité soit amenée à se poser en masse la question du sens et de la valeur de la peine qu’elle se donne ; et je ne doute guère que l'issue soit un acte de foi en l’avenir.  Car autrement ce serait la fin de l’évolution. Je pense, avec vous, que nous sommes à la veille de passer par un point critique... » [46].

« Regardons autour de nous la Terre.  Que se passe-t-il sous nos yeux, dans la masse des peuples ?  D'où vient ce désordre dans la Société, cette agitation inquiète, ces vagues qui se gonflent, ces courants qui circulent et se joignent, ces poussées troubles, formidables et nouvelles ? L'Humanité, visiblement, traverse une crise de croissance.  Elle prend obscurément conscience de ce qui lui manque et de ce quelle peut.  Devant elle, l'Univers devient lumineux comme l'horizon d'où va jaillir le Soleil.  Elle pressent, donc, et elle attend » [47].

* La conscience adulte majeure et  point de passage obligé :

- Cette formule de Teilhard de Chardin résume les développements que nous venons d’effectuer. Le point de passage obligé est celui de l’individu. Il implique chacun et appelle à un autre niveau de conscience qu’on pourrait nommer : « adulte majeure ». Cette conscience adulte majeure vient en contrepoint des tendances infantilisantes, lesquelles nous enferment et nous égarent. Cet autre niveau de conscience nécessite un chemin d’unification entre les actes, les paroles et la conscience. Seule cette unification peut combler les fossés qui se creusent, à notre insu, avec l’environnement proche ou plus lointain.

Les problèmes de notre temps ne peuvent être résolus si nous ne nous centrons pas d’abord sur cette maturation de l’individu. Individu à l’image duquel pourra s’épanouir le monde.

- Nous sommes à  ce moment précis de l’histoire où, non seulement le passage à une conscience adulte majeure est nécessaire mais, plus encore, où les conditions semblent réunies pour y parvenir ; la nécessité de ce passage intervient en effet précisément à cette période où l’humanité prend conscience, à la fois :

> d’une destinée commune qui lie chaque être humain.

> du caractère unique de chaque personne et de la dimension infinie qui la constitue.

> du processus d’accélération exponentielle de l’Evolution  qui caractérise notre temps.

* Dans une seconde partie, nous nous attacherons à développer cette notion de « conscience adulte majeure ». 

Nous développerons plus en détail ces questions de l’infantilisme, de la conscience adulte majeure et de ce passage nécessaire vers une capacité à être (Etre social et autonome). Je veux montrer que ce passage obligé est celui de l’autonomie, seule capable d’opérer cette mutation. Celle-ci n’étant pas à confondre avec cette dérive de la modernité : l’individualisme. 

- Pour ce faire, nous essaierons de comprendre ce qui conditionne la croissance humaine et ce qui la freine. Je développerai quelques idées maîtresses qui facilitent la compréhension de l’humain et de sa fragilité. Je m’attarderai sur ces pierres d’achoppement qui empêchent une croissance harmonieuse et une réalisation de l’Etre ; la principale étant précisément la non reconnaissance de sa fragilité et de son besoin de communion (aimer et être aimé).

- Nous verrons qu’une conscience adulte majeure est celle d’un être capable d’autonomie. Nous étudierons tous les pas qui ont été effectués dans le sens de cette autonomie, notamment à travers les courants pédagogiques récents ou plus anciens. Nous verrons ce qu’implique ce chemin d’autonomie, et quel est son degré d’exigence ; jusqu’où il nous mène, et à quelle ambition.

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La conscience adulte majeure dans le contexte de l’Evolution.

Cette étude n’est pas celle de l’oeuvre de Teilhard de Chardin. Elle est d’abord le fruit d’une recherche personnelle[48]. Vouloir bâtir l’ensemble d’une réflexion et la fonder sur la pensée d’un auteur serait, du reste, en complète contradiction avec ce que nous développons.

Ma démarche est donc la suivante : parti d’un cheminement personnel, fait de rencontres, d’expériences, d’observation, de réflexion et d’appel à une conscience intime où intervient l’intuition, j’ai engagé une réflexion qui rejoint cette proposition de Teilhard de Chardin. C’est à ce point de jonction que nous nous situons.

Avant d’aller plus loin, je propose de :

- Présenter succinctement la pensée de Teilhard pour ce qu’elle confirme et éclaire ce que nous avons développé dans cette première partie [49].

- M’attacher à comprendre ce que pouvais signifier pour Teilhard de Chardin  « une conscience  adulte majeure ».

> Teilhard de Chardin se situe sur l’échelle de l’Evolution et il nous y ramène constamment.

* Il conçoit le monde comme progressant irrésistiblement vers plus de spiritualité mais il est conscient des aléas qui guettent le monde en évolution. Point d’optimisme béat donc, mais un regard sur une échelle de temps qu’il importe de prendre en compte pour comprendre cette progression. Comme l’indique André Daleux dans son livre consacré à l’oeuvre de Teilhard de Chardin, malgré ces régressions possibles, Teilhard de Chardin maintient qu'à longue échéance, depuis l'apparition de la vie, la marche vers plus de conscience, de spiritualité et d'autonomie s'est constamment poursuivie ; Déployée à l'échelle des millénaires, la vision teilhardienne lui permet de déceler, derrière les heurts inévitables de la lutte pour la vie, moteur de la sélection évolutive, le tenace cheminement de l'Esprit :  « Ce qui fait pour nous la souffrance et le scandale de l'heure, c'est, à mon avis, que, noyés comme de microscopiques éléments dans la transformation en cours, nous la subissons en détail, et du dedans. Les chocs élémentaires dominent et masquent pour nous la marche générale du phénomène. Les arbres nous cachent la forêt.

Mais imaginons un observateur qui, placé sur un astre, aurait trouvé le moyen de suivre, par une sorte d'analyse spectrale, le développement graduel autour de la Terre de cette auréole d'énergie pensante (..). Il est hors de doute que, pour un tel observateur, notre planète, après avoir continuellement monté de température psychique, depuis 500 millions d'années, atteindrait en ce moment un éclat qu’elle n'a encore jamais connue de conscience toujours croissante ».

A André Daleux de souligner : « Dans l'aventure, notre univers a pris quelques rides.  Durant la période médiévale, appuyé sur la Bible, il n'avouait que 7 000 à 8 000 ans d'âge.  Le réalisme de la science moderne l'oblige à assumer ses 15 milliards d'années » [50].

Teilhard de Chardin a conscience des risques qui pèsent sur cette évolution, mais il souligne que malgré les soubresauts, le mouvement est irrésistible :

« ..malgré tant de haines déchaînées, le bloc humain ne s'est pas désagrégé. Mais (..) il s'est refermé sur nous d'un cran davantage. 1914-1918, 1939-1945 : chaque fois un tour de plus donné à l'écrou (..) Engagée par les nations pour se dégager les unes des autres, chaque nouvelle guerre n'a pour résultat que de les faire se mêler et s'emmêler en un noeud toujours plus inextricable. Plus nous nous repoussons, plus nous nous compénétrons [51].

André Daleux souligne combien Teilhard stigmatise l'attitude sado- masochiste qui consiste à considérer la guerre comme une fatalité inhérente à la marche du Monde et à la férocité naturelle de l'homo dit sapiens:  « ... rien n'est plus dangereux pour l'avenir du monde, rien du reste moins fondé en nature, que la fausse résignation et le faux réalisme avec lesquels une foule de gens, en ce moment, baissant la tête et rentrant les épaules, pronostiquent (et par là même provoquent) un nouveau cataclysme pour demain. Cette peur de la guerre fatale empoisonne l'atmosphère autour de nous [52] ». (Ceci a été écrit en 1947, en pleine "guerre froide").

> Il distingue dans cette évolution un seuil décisif : celui de conscience réfléchie humaine

La vie, devenue autonome avec la cellule (le premier seuil est donc celui du passage critique de la molécule à la cellule), poursuit son cheminement à travers l'interminable évolution des espèces vivantes, jusqu'à l'apparition de l'Homme. Après une maturation de centaines de millions d'années, un nouveau pas marque l'assaut de la matière vers les sommets de conscience.

Ce passage n’est pas le fruit d’une adaptation soudaine et radicale mais une transformation anatomique minime provoque un saut qualitatif qui représente du « tout autre » dans le  monde :

«  Vouloir faire de l'Homme une exception dans la genèse des formes vivantes, c'est une gageure insensée » [53] « ... D'un point de vue strictement expérimental, je le répète, l’Homme n'est originellement que l'un quelconque des innombrables essais tentés par l’étoffe cosmique pour s'enrouler sur elle même » [54].

« ...Ce qu'il peut y avoir de remarquable, ou même d'extraordinaire, dans le Phénomène humain considéré à sa source, ce ne serait pas exactement son mécanisme : une simple mutation chromosomique ! Mais ce sont les formidables conséquences résultant de cette saute  élémentaire » [55].

C’est cette pensée réfléchie qui va donner la possibilité à l’homme de prendre du recul par rapport aux événements dans lesquels il est ballotté sans répit . Cette prise de recul lui permet de se poser comme sujet face au monde ambiant qui devient pour lui objet. L'animal sait mais il ne sait pas qu'il sait. Les résultats de ce « repli sur elle-même » de l'étoffe cosmique à travers la conscience réfléchie humaine sont indiscutables. L’Homme est la seule espèce capable d'engendrer des phénomènes d'une amplitude planétaire [56]. C’est aussi cette pensée réfléchie qui va dévoiler la dimension temporelle de l’univers.

De cette conscience réfléchie, qui marque la naissance de l’Humanité, émergent des propriétés inédites dans le monde : « Abstraction logique, choix et inventions raisonnées, mathématiques, arts, perception calculée de l'espace et de la durée, anxiétés et rêves de l'amour.... Toutes ces activités de la vie intérieure ne sont rien autre chose que l'effervescence du centre nouvellement formé explosant sur lui-même ».  [57] 

L’étoffe cosmique de l’univers : sortie du dualisme matière/Esprit 

* Teilhard de Chardin s’oppose à un "dualisme ruineux" qui nous occulte la vraie structure de l'univers : « D'un côté l’Esprit, de l'autre, la Matière: et, entre eux, rien autre chose que l'affirmation d'un accolement inexpliqué et inexplicable... ».

Ce dualisme contribue à nous enfoncer dans deux solutions radicales : l’univers n'est que matière, l'esprit n'est qu'une illusion, un fantasme. Ou l’univers n'est qu' Esprit, la matière n'est qu’ une illusion.

Le spiritualisme de Teilhard s'oppose point par point au matérialisme scientifique en honneur au 19ème siècle, mais grâce à son réalisme il évite le piège idéaliste d'un monde extérieur dont l'existence ne dépendrait que de la conscience que nous en prenons.  Le monde qui nous entoure est réel pour Teilhard de Chardin. Mais l'univers physique n'est pas, dans son essence, tel qu'il apparaît à nos organes sensoriels. Pour Teilhard, l'étoffe primitive de l'univers n'est pas une substance double composée d'une matière que l'Esprit aurait animée par la suite, mais une substance unique, l'Esprit-Matière, dont l'apparence varie selon l'angle sous lequel nous l'appréhendons. Sous l'éclairage de notre intériorité, l'Esprit-Matière révèle sa face spirituelle, tandis que les mêmes phénomènes apparaissent sous leur aspect matériel pour le regard tourné vers le monde extérieur, qui est le mode de perception de nos sens et celui de la science [58].

* Le processus évolutif d’apparence mécanique est une ascension progressive du monde vers toujours plus de conscience et de spiritualité. En terme éthique, l’Esprit, c’est la tendance unifiante. Est bon ce qui unifie. A l’inverse se trouve la dissociation.

« Toute consistance vient de L’Esprit (...) L'expérience immédiate et brutale tendrait à nous faire admettre le contraire.  La solidité de l'inorganique, la fragilité de la chair, veulent nous faire croire que toute consistance vient de la matière. il faut résolument inverser cette vue grossière des choses.(...) Non, rien ne tient que par un effet de synthèse, par un reflet de l’esprit. (...) Les déterminismes matériels cessent, dans cette perspective, de former l'ossature du Monde. (...) Ce sont eux le vrai épi-phénomène. » [59] 

> L’unification : force de personnification.

Teilhard de Chardin voit un troisième seuil dans l’évolution spiritualisante du monde qui tend vers l’unification. Mais contrairement et radicalement en opposition avec le courant panthéiste, il ne confond pas l’union et la fusion.

* L’union se fait de centre à centre et non par absorption. Elle crée la personne. Pour Teilhard, l’âme humaine représente un « ...élément autonome et indestructible du Monde » [60]. L’union vraie est celle qui se fait de centre à centre.

* La personne et l’individu : l’idée d’une participation consentante à l’évolution de l’univers se heurte à une peur légitime d’être absorbé dans une union dans laquelle on se perdrait. Nous avons vu où peut mener l’utopie scientifique qui, à l’image des algorithmes qui reproduisent les comportements des fourmis,  entendrait faire de l’homme des neurones d’un gigantesque cerveau.

- Teilhard précise, « La source de nos répugnances au collectif est à chercher dans l'illusion qui nous fait tenacement identifier Personnel avec individuels » [61] 

Ce qui rend un centre individuel, c'est ce qui le distingue des autres centres,

mais ce qui le rend personnel c'est le fait d'être profondément lui-même [62] 

L’intensité de notre individualité est inversement proportionnelle à l'enrichissement de notre personnalité.  A tel point, dit Teilhard, que l'individualité s'annule quand la personnalité atteint son maximum.  Ce n'est pas en nous isolant des autres mais en nous unissant à eux que nous accroissons notre "Ego" [63].

Mais il s'agit alors d'union vraie, comme nous l'avons déjà vu, une union de centre à centre : « La véritable union ne fond pas les éléments qu’elle rapproche, par fécondation et adaptation réciproques, elle leur donne un renouveau de vitalité.  C'est l'égoïsme qui durcit et neutralise l'étoffe humaine.  L'union différencie. »[64].

- L'apparition du psychisme humain entraîne un enrichissement inouï des possibilités d'union d'ordre affectif, entre centres personnels réfléchis. Dans un tel milieu, l'union n'engendre plus des rouages (telles les fourmis aux liens purement fonctionnels), mais « ...l'épanouissement harmonisé de valeurs individuelles ».[65] 

La personne humaine, premier élément complètement centré apparu par évolution sur notre planète, est devenue, de ce fait, capable de s'unir à ses semblables, sans perdre son autonomie. « Loin de tendre à se confondre, les centres réfléchis intensifient leur ego, à mesure qu’ils se resserrent entre eux »[66].

Il s'agit d'une "différenciation créatrice": « Contrairement aux apparences, les personnes peuvent encore servir d'élément pour une synthèse ultérieure, parce que leur union achève précisément de les différencier. L’union dans le Personnel différencie[67]. Le Tout n'est pas l'antipode mais le pôle même de la Personne. » [68] 

- Teilhard, par cette notion « d’union différenciante » est donc en opposition radicale avec le panthéisme où la personne humaine est censée se fondre et se laisser absorber par « un Grand Tout » :

« L'union différencie. Les parties se perfectionnent et s'achèvent dans tout ensemble organisé.  C'est pour avoir négligé cette règle universelle que tant de Panthéismes nous ont égarés dans le culte d'un Grand Tout où les individus étaient censés se perdre comme une goutte d'eau, se dissoudre comme un grain de sel dans la mer.[69] 

* L’Amour est l’agent de synthèse universel : l’union directe de centre à centre, qui joint par le coeur même de leur être deux corpuscules, représente donc pour Teilhard la seule forme efficace de liaison entre éléments cosmiques.

Elle seule leur permet de gravir les échelons successifs de la spiritualité. Lorsque cette affinité se manifeste entre humains, nous la nommons « Amour ». Mais l'amour n'est pas un phénomène seulement humain. Sa force se manifeste à tous les étages de la pyramide de complexité cosmique, jusqu'au niveau de base de l'étoffe d'Esprit-Matière dont nous sommes issus.

« De l'amour nous ne considérons d'habitude (et avec quel raffinement d'analyse !) que la face sentimentale: les joies et les peines qu'il nous cause.  C'est dans son dynamisme naturel et dans sa signification évolutive que je me trouve conduit à l'étudier ici... » [70] 

Le mot « amour », au sens uniquement humain du terme, semble coupé du monde physique.  En fait, dit Teilhard, il représente " .. la face intérieure, sentie, de l'affinité qui attire et relie entre eux les éléments du Monde centre à centre [71]. " L'amour a toujours été soigneusement écarté des constructions réalistes et positivistes du Monde.  Il faudra bien qu'on se décide à reconnaître en lui l'énergie fondamentale de la Vie... » [72].

L’amour se trouve en action, sous des modalités diverses, dans toutes les formes prises successivement par la matière organisée.  Ses manifestations sont, bien sûr, plus nettes chez les mammifères et les animaux supérieurs, mais ses prémices se décèlent dès l'origine, dans la tendance interne à s'unir que manifestent l'atome et la molécule.

« Si, à un état prodigieusement rudimentaire sans doute, mais déjà naissant, quelque propension interne à s’unir n'existait pas jusque dans la molécule, il serait physiquement impossible à l'amour d'apparaître plus haut, chez nous, à l'état hominisé. (...) L'amour sous toutes ses nuances, n'est rien autre chose, ni rien moins, que la trace plus ou moins directe marquée au coeur de l'élément par la Convergence psychique sur soi-même de l'Univers » [73].

Un amour n'est donc pas seulement le "sel de la vie".  Il en est le ciment, le sable et la chaux sans quoi rien de durable ni d'important ne pourrait se bâtir  [74].

> Tout activité peut participer à cet élan de l’Evolution.

* L’Homme est responsable au sein du cosmos : un des apports essentiels de Teilhard de Chardin est de rétablir, face au désarroi de l’humanité, le sens de la responsabilité humaine.

L’Homme reste libre, il n’est pas assujetti à l’ensemble des déterminismes [75]. Teilhard admet l’existence de déterminismes « nous n’émergeons dans la réflexion et la liberté que par la fine pointe de nous-mêmes » mais cette fine pointe, précise André Daleux, est de pur diamant, plus pure et dure qu’aucune matière en ce monde.

L’Homme est lié à l’univers et y a une responsabilité : chez de nombreux astrophysiciens ou physiciens relativistes ou quantiques comme Hubert Reeves, Prigogine, Louis de Broglie, Bernard d'Espagnat, des notions qui confortent l'existence de mystérieuses influences dont le réseau inextricable enserre chaque élément cosmique. Mais cette liaison à l’univers pour Teilhard écarte toute tentation d'immersion dépersonnalisante dans un vague sentiment d'appartenance au "Grand Tout cosmique" : " C'est par ce que nous avons de plus incommunicablement personnel que nous touchons à l'Universel [76] Animatrice cosmique, notre personnalité est en retour enrichie par l'intimité de ses relations avec la totalité de l'univers. D'ordre plus intuitif que rationnel, ce sens cosmique s'épanouit dans l'art, la poésie, la religion. « Il représente la conscience plus ou moins obscure que chacun de nous prend de l'Unité réfléchie en laquelle, avec tout le Reste, il s'agrège ». [77] 

La "coextension croissante de notre âme au monde" n'est pas un mouvement d'ordre seulement abstrait ou idéal, mais bien la suite légitime du processus d'apparition de la vie et d'épanouissement

Notons la connivence de points de vue notamment entre Teilhard et Hubert Reeves, lequel s’exprime en ces termes : « Quel est l'avenir de l'évolution ? (...) Nous sommes investis d'une mission : favoriser cette éclosion par tous les moyens possibles, comme une femme enceinte prend soin d'elle-même. (...) « Nous » , le lecteur l'aura compris, c'est plus que vous et moi.  C'est tout                l’ « expérience -univers » qui se joue en nous et par nous » [78].

* Toute activité est donc louable si elle participe à cet enfantement ; si elle permet une avancée vers plus d’unité et favorise une progression de conscience et de spiritualisation de l’Univers. En ce sens, la recherche (au sens large) représente la plus haute des fonctions humaines, mais elle doit, par cette raison même, s’assortir d’une grande exigence éthique.

« La Recherche a pu longtemps passer parmi les Hommes pour un accessoire, une bizarrerie ou un danger.  Le moment est venu, proche, où nous nous apercevrons qu'elle est la plus haute des fonctions humaines, absorbant en soi l'esprit de la Guerre, et resplendissant de l'éclat des Religions.

Mais que nul ne s'y trompe. Celui qui veut participer à cet Esprit doit mourir, puis renaître, aux autres et à lui-même. Il lui faut, pour accéder à ce plan supérieur d'Humanité, non seulement réfléchir, voir intellectuellement une situation particulière, - mais opérer, dans le fond même de sa façon d'apprécier et d'agir, une totale transposition. En lui, un nouveau plan (individuel, social et religieux) doit en éliminer un autre » [79].

> L’avenir de l’Evolution

* La noosphère : l’évolution se produit selon une loi de complexité-conscience toujours croissante. La conscience réfléchie sur elle-même, second seuil de l’évolution a permis l’apparition d’un sens de la durée et de l’avenir et aboutit à la conscience d’être embarqués sur le même vaisseau planétaire, créant une force d’attraction plus puissante que tout les clivages. Les progrès techniques multiplient les capacités d’action et améliorent notre conception réfléchie de l’univers. A ces progrès techniques s’associe l’expansion démographique. Ces deux facteurs à eux seuls doivent amener à un degré supérieur d’organisation. Ceci débouche sur « ... un nouvel ordre de conscience émergeant d’un nouvel ordre de complexité organisée. Une hypersynthèse de l’humanité sur elle-même » [80].

Teilhard n’ignore pas le vertige que provoque l’étroitesse du chemin à emprunter :               « ... étendue à des individus vivants autonomes (...) (cette idée) tend à nous paraître irréelle, sinon choquante. Comme si, en acquérant notre petit ego, nous avions perdu par excès de dignité, la faculté d'être intégrés, à titre d'éléments, au sein d'aucune unité physique d'ordre plus élevé que la nôtre » [81].

Bien au contraire, répond Teilhard, l'apparition de la personne humaine représente un enrichissement des forces affectives, de la puissance d'aimer à l'oeuvre au sein de l'univers en évolution ; ce qui rend possibles de nouvelles formes de liaison plus fécondes, entre éléments vivants.  En fait : « l'homme, de par l'extrême pouvoir d'aimer lié à sa (...) complexité extrême, est, dans la mesure où il arrive à aimer, le plus magnifiquement synthétisable des éléments jamais construits par la Nature ». [82] 

* A l’approche d’un nouveau seuil, un passage obligé : Teilhard observe une accélération explosive de l’Evolution. L’humanité passe par une phase de survie grâce aux réserves énergétiques accumulées par les millénaires, qui lui permettront d’atteindre le stade suivant de l’autonomie énergétique. Mais il lui faudra toujours plus de science, d’ambition et de sagesse pour doubler ce cap [83].

=> Ce seuil critique nécessite donc un passage incontournable :

- Qui va à l’encontre de l’immobilisme :

« Une société bien sage, où chacun vivrait à l'aise et sans peine dans des cadres définitivement fixés, un monde tranquillement au repos, sont positivement incompatibles avec notre univers en marche (...) Ainsi s'évanouissent à l'horizon tous les espoirs de tranquillité bourgeoise, tous les rêves de félicité « millénariste » auxquels nous sommes tentés de nous abandonner ». [84] 

L'élan qui nous poussait jusqu'ici à nous heurter en luttes sanguinaires doit être non pas supprimé, mais sublimé et concourir à nous élever, « ....tous arc-boutés les uns aux autres, vers toujours plus de conscience et de liberté.(...) Voilà pourquoi, quand je veux me rassurer sur notre sort de demain, je ne regarde ni vers les palabres officielles, ni vers les manifestations « Pacifistes », ni vers les objecteurs de conscience.  Mais mes yeux se tournent instinctivement du coté des institutions et des groupements toujours plus nombreux où s'élabore silencieusement, autour de nous, dans la recherche, l'âme nouvelle d'une humanité résolue à atteindre coûte que coûte l'extrême bout de ses puissances et de sa destinée ».[85] 

- Qui demande le plus haut degré d’exigence :

« Depuis que se sont révélées à notre esprit, d'une part l’existence de la Noosphère, et d'autre part la nécessité vitale où nous nous trouvons de sauver celle-ci, la voix qui parle se fait plus impérieuse.  Elle ne dit plus seulement : « Aimez-vous, pour être parfaits », elle ajoute « aimez-vous, ou vous périrez »[86]. « A la vitesse où sa conscience et ses ambitions augmentent, le monde fera explosion s’il n’apprend à aimer » [87].

Rejoignant la célèbre phrase de André Malraux : « le 21ème siècle sera religieux ou ne sera pas », Teilhard de Chardin  montre que le temps d’une morale statique est fini où il s’agissait de « protéger l’existence de chaque individu contre tout envahissement extérieur ».  Il ne s’agit plus seulement de protéger, mais de guider chacun vers son accomplissement spirituel, c’est-à-dire vers sa capacité à être. Le mouvement nécessite une direction, un point de convergence...

> Vers une définition de la conscience adulte majeure

A partir de ces quelques éléments de la pensée teilhardienne, nous pouvons proposer une ébauche de ce que pouvait signifier pour l’auteur « une conscience adulte majeure ».

* Elle se profile dans le courant naturel de l’Evolution. Elle se présente aujourd’hui comme une nécessité et comme une réponse à nos interrogations et nos impasses.

* Elle va dans le sens d’un accroissement de personnification :

- Elle suppose donc : le goût passionné de grandir et d’aller vers l’unification :

« Quelles doivent être, pratiquement, nos dispositions par rapport à cette marche en avant ? J'en vois deux, qui peuvent se résumer en cinq mots : une grande espérance, en commun.

a) Une grande espérance, d'abord.  Celle-ci doit naître spontanément dans toute âme généreuse en présence de l'oeuvre attendue ; et elle représente aussi l'élan essentiel sans lequel rien ne se fera.  Un goût passionné de grandir, d'être, voilà ce qu'il nous faut. Arrière donc les pusillanimes et les sceptiques, les pessimistes et les tristes, les fatigués et les immobilistes! La Vie est perpétuelle découverte. La Vie est mouvement.

b) En commun, ajoutais-je. Sur ce point encore l'histoire de la Vie est décisive. Pour avancer, toutes les directions ne sont pas bonnes.  Mais une seule fait monter, celle qui par plus d'organisation mène à plus de synthèse et d'unité.  Arrière donc, ici encore, les purs individualistes, les égoïstes, qui pensent grandir en excluant ou en diminuant leurs frères - individuellement, nationalement, ou racialement. La Vie se meut vers l'unification. Notre espérance ne sera opérante que si elle s'exprime en plus de cohésion et plus de solidarité humaine » [88].

* Elle se présente comme un mouvement  vers du plus-être.

- Croître et devenir : « pour la philosophie ancienne, « être » c'était surtout « connaître ». Pour la philosophie moderne, « être » devient synonyme de « croître » et « devenir » [89].

- Elle est extrêmement exigeante et implique une remise en question permanente : l’Homme doit, pour ce faire, aller vers ce qu’il est : « La morale de l'individu, enfin, était principalement ordonnée à l'empêcher de nuire.  Elle lui interdira désormais toute existence neutre et « inoffensive », et l'obligera à l'effort de libérer  jusqu’au bout son autonomie et sa personnalité ».

Cette effort est celui de l’acquisition de l’autonomie.

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[45] Teilhard de Chardin Science et Christ - 25 mars 1924.

[46] Teilhard de Chardin à l'Abbé C. Gaudefroy, On Board avant Shangaï, 14 février 1935.

[47] Être plus Pierre Teilhard de Chardin -Collection Points - p 90. Citation du : « milieu divin » - mars 1927

[48] Dans la seconde partie ainsi que dans l’introduction et la conclusion,  je fais à plusieurs reprises,  référence à la pensée de  C.G Jung. Il importe de préciser que :

1) Concernant la pensée de Jung,  je ne retiens que ce qui me semble être pertinent sans pour autant conclure à l’aspect éclairant de l’ensemble de l’oeuvre.

2) Bien qu’il puisse y avoir des points de convergence, en aucun cas je n’établis de lien formel entre la pensée teilhardienne et celle de Jung

[49] Cette présentation limitative risque de casser la cohérence d’ensemble de l’oeuvre de Teilhard. Elle peut aussi provoquer des distorsions. J’invite les lecteurs, pour plus de développements, à lire l’excellent livre de André Daleux : « Teilhard de   Chardin : science et foi réconciliées? » auquel je me réfère principalement pour développer ces points.

[50] Teilhard de Chardin : science et foi réconciliées? - André Daleux - p.56.

[51] Teilhard de Chardin : science et foi réconciliées? - André Daleux - p153 - citation : « l’avenir de l’Homme » - p.163

[52] Idem - citation : « l’Avenir de l’Homme » - p.191.

[53] Idem - citation tirées de « lettres intimes » - p.174.

[54] Idem - citation tirée de : « les directions de l’avenir ». p 189.

[55] Idem - citation tirée de « l’apparition de l’homme »p.193.

[56] Teilhard de Chardin : science et foi réconciliées? - André Daleux - p.99.

[57] Teilhard de Chardin : science et foi réconciliées? - André Daleux - Le phénomène humain - p.182.

[58] Il n’est pas de notre objet d’argumenter cette conception. toutefois, il importe de préciser que celle-ci, inacceptable dans une vision déterministe de l’univers retrouve un intérêt dans un champ expérimental d’un univers dynamique qui s’expose à de nouveaux paradoxes. Je cite ici un passage du livre de André Daleux : « de nombreuses expériences gratifient la particule d'une double identité. Suivant les conditions expérimentales, la particule quantique apparait soit comme une onde, soit comme un corpuscule.  Ce qui pose un problème car un corpuscule se comporte comme une minuscule boule solide, dont les limites spatiales et la localisation sont précises, tandis que l'onde occupe tout l'espace sans limites nettes.  Ces deux statuts absolument incompatibles l'un avec l'autre appartiennent pourtant à la même particule. Confronté à ce dilemme, Niels Bohr, l'un des fondateurs de la physique quantique, ne put dépasser le paradoxe qu'en forgeant le principe de complémentarité, selon lequel l'aspect ondulatoire et l'aspect corpusculaire de la particule sont deux notions complémentaires, c’est-à- dire toutes deux indispensables pour décrire le réel de façon complète, malgré leur radicale incompatibilité.

[59] Idem. Citation tirée de « science et Christ ». p77.

[60] Idem - citation tirée  de « Ecrits du temps de guerre ».p.368.

[61] Idem - citation « l’énergie humaine - p.81.

[62] Idem - citation « l’activation de l’énergie » - p.123

[63] Idem - citation « l’activation de l’énergie » - p.123.

[64] Idem - citation « l’énergie humaine » - p.80.

[65] Idem - citation « L’avenir de l’Homme » - p74.75

[66] Idem - citation « L’activation de l’énergie » - p.123.

[67] Idem - citation « l’énergie humaine » - p.129.

[68] Idem - citation « Science et Christ » - p.178.

[69] Idem - citation « Le phénomène humain » - p.291.

[70] Idem - citation « Le phénomène humain » - p.293.

[71] Idem - citation « l’activation de l’énergie » - p.77.

[72] Idem - citation « L’avenir de l’Homme » - p.75.

[73] Idem - citation « L’avenir de l’Homme » - p.75.

[74] Teilhard de Chardin : science et foi réconciliées? - André Daleux

[75] Voir aussi annexes au chapitre 3 : l’objection sociologique.

[76] Teilhard de Chardin : science et foi réconciliées? - André Daleux -p.123 - citation : « l’Avenir de l’homme »-p.29

[77] Idem - citation « l’énergie humaine » p.102.

[78] Idem - citation « Patience dans l’azur » - p.160.

[79] Être plus - Pierre Teilhard de Chardin - Points ; citation de : l’Energie humaine (Le seuil) - mars 1931.

[80] Teilhard de Chardin : science et foi réconciliées? - André Daleux - citation : « l’activation de l’énergie » - p.96.

[81] Idem - citation « l’apparition de l’Homme » - p.330.

[82] Idem - citation « l’activation de l’énergie » - p.78.

[83] Idem - citation : « l’apparition de l’Homme » - p.346-347.

[84] Teilhard de Chardin : science et foi réconciliées? - André Daleux - citation :  « l’Avenir de l’homme » - p.195

[85] Idem - citation : « l’Avenir de l’homme » - p.197

[86] Être plus - Pierre Teilhard de Chardin - Points ; citation de : l’Energie humaine (Le seuil) - septembre 1937.

[87] Idem - citation de : « La vision du passé » - le seuil - Juillet 1939 p.300.

[88] Idem - citation de : « l’Avenir de l’Homme (le Seuil), réflexion sur le progrès, mars 1941.

[89] Idem - citation de : Science et Christ (Le Seuil) - août 1945.

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